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Nous sommes prédisposés à être conspirationnistes

Notre cerveau a évolué pour être à l’affût des complots potentiels. Les explications de Découverte.

Infographie du cortex préfrontal droit du cerveau.

Face au danger, notre cerveau est prédisposé à détecter des complots.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

La pandémie de COVID-19 a amené des millions de gens à travers la planète à croire que cette crise serait le résultat d’un complot mondial. Les adeptes des théories conspirationnistes sont souvent dépeints comme étant peu éduqués, peu intelligents ou encore souffrant de troubles psychologiques. Pourtant, n’importe qui d’entre nous, peu importe sa situation, est à risque de se laisser convaincre par de telles croyances.

Il y a des centaines de milliers d’années, l’Homo sapiens vivait dans un monde où les complots étaient monnaie courante. Le risque d’être tué par des tribus hostiles était beaucoup plus élevé qu’il ne l’est de nos jours, dans la société moderne, explique le psychologue Jan-Willem van Prooijen, chercheur à l’Université libre d’Amsterdam et auteur d’un livre sur la psychologie des théories conspirationnistes. (Nouvelle fenêtre)

Portrait du Dr Jan-Willem van Prooijen.

Le Dr Jan-Willem van Prooijen est professeur associé en psychologie sociale et organisationnelle à l'Université libre d'Amsterdam.

Photo : Peter Valckx

Ceux d’entre nos ancêtres qui savaient détecter les complots avant qu’ils ne se manifestent avaient un avantage sur les autres. C’est donc un trait qui a été favorisé dans l’évolution. Nous croyons que nos cerveaux se sont adaptés pour être à l’affût des conspirations hostiles, explique le chercheur.

Toutefois, la société a bien changé depuis la préhistoire et les complots ne sont plus aussi courants. Mais notre cerveau, lui, est resté le même. En psychologie évolutionniste, on appelle ça "le décalage", souligne le professeur van Prooijen.

Les sociétés se sont énormément transformées depuis 12 000 ans, mais c’est peu sur l’échelle de l’évolution. Donc, nos cerveaux n’ont pas vraiment eu le temps d’évoluer eux aussi.

Une citation de Jan-Willem van Prooijen, chercheur en psychologie, Université libre d’Amsterdam

Dans une situation de danger, le réflexe de bien des gens est donc de se mettre à la recherche de complots potentiels.

Donner un sens au danger

Dans une situation qui provoque de la peur, comme une pandémie, l’amygdale de notre cerveau s’active. Cette petite structure nous prépare à réagir au danger. Quand les gens sont anxieux, quand ils ressentent de la détresse face à l’avenir, ils essaient automatiquement de donner un sens à la situation, dit Jan-Willem van Prooijen.

Infographie de l’amygdale dans le cerveau

L’amygdale est une structure du cerveau impliquée dans la sensation de peur.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

Cependant, dans cette recherche de sens, notre cerveau nous oriente parfois vers des interprétations faussées, qui sont le résultat du contexte dans lequel l’humain a évolué.

Le cortex temporal médian de notre cerveau se met à la recherche de la cause de ce qui nous menace. Lorsque celle-ci n’est pas claire, le cerveau préfère croire que la cause est intentionnelle plutôt qu’accidentelle. En d’autres mots, il refuse de croire aux hasards. Nous pouvons nous préparer à nos ennemis, mais nous ne pouvons pas nous préparer face au hasard, explique le psychologue Jan-Willem van Prooijen.

Infographie du cortex temporal médian du cerveau.

Le cortex temporal médian est impliqué dans la recherche des causalités.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

Dans un sens, la notion que de mauvaises choses arrivent par hasard est bien plus terrifiante que de croire que nos ennemis en sont la cause.

Une citation de Jan-Willem van Prooijen, chercheur en psychologie, Université libre d’Amsterdam

Dans le cas de la COVID-19, bien des gens refusent ainsi de croire que le virus a pu muter accidentellement de l’animal vers l’humain, comme l’affirment les scientifiques. Les adeptes des théories conspirationnistes préfèrent croire que le virus a été créé en laboratoire, intentionnellement.

De plus, notre cerveau tend à surestimer les intentions négatives d’autrui, un autre biais qui avait un avantage pour la survie de l’espèce. La perception des intentions est contrôlée par le carrefour temporo-pariétal de notre cerveau.

Infographie du carrefour temporo-pariétal du cerveau

Le carrefour temporo-pariétal est impliqué dans la perception des intentions d’autrui.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

Quand les gens ont peur, ils ont tendance à surestimer à quel point les autres groupes ont des intentions hostiles.

Une citation de Jan-Willem van Prooijen, chercheur en psychologie, Université libre d’Amsterdam

Dans le contexte de la COVID-19, ce biais se manifeste chez les conspirationnistes qui sont convaincus, par exemple, que Bill Gates, l’Organisation mondiale de la santé et les gouvernements seraient tous derrière un complot aux objectifs malveillants.

Notre cerveau cherche aussi à faire des liens pour tenter de mieux comprendre la menace à laquelle il fait face, une aptitude contrôlée par le cortex préfrontal droit. Le hic : certains ont tendance à voir des liens là où il n’y en a pas.

Infographie du cortex préfrontal droit du cerveau.

Le cortex préfrontal droit est sollicité lorsque l’on fait des liens entre les événements.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

Les théories du complot consistent vraiment à voir des connexions entre des événements aléatoires, à relier des points entre eux d’une façon que d’autres personnes ne voient pas.

Une citation de Jan-Willem van Prooijen, chercheur en psychologie, Université libre d’Amsterdam

Le psychologue Jan-Willem van Prooijen a d’ailleurs mené une étude sur ce phénomène (Nouvelle fenêtre). Il a montré à 214 participants des toiles abstraites du peintre Jackson Pollock, en leur demandant ce qu’ils y voyaient. Certaines personnes n’y voient qu’un peu de peinture éclaboussée sur la toile, mais d’autres y voient toutes sortes de belles formes géométriques. Nous avons constaté que ces personnes avaient aussi tendance à croire à des théories du complot, par exemple, que l’on n’est jamais allé sur la Lune ou que le 11 Septembre était orchestré par les États-Unis.

Jan-Willem van Prooijen regarde une toile de Jackson Pollock

Le chercheur Jan-Willem van Prooijen a mené une étude sur les toiles du peintre Jackson Pollock et la croyance en des théories conspirationnistes

Photo : Radio-Canada

Dans le cas de la COVID-19, ce biais amène certains à établir des liens entre la technologie 5G et le SRAS-CoV-2, bien qu’il n’existe aucune relation entre les deux.

Pourquoi est-il si difficile de changer d’avis?

Une fois que notre idée est faite, notre cerveau filtre les nouvelles informations avec un biais bien connu : le biais de confirmation.

Portrait du Dr Read Montague.

Le Dr Read Montague est professeur spécialisé en neuroscience à l'Institut polytechnique et Université d’État de Virginie.

Photo : Virginia Tech

C’est notre tendance à accepter les informations qui sont en accord avec nos opinions et à rejeter ce qui les contredit, explique le neuroscientifique Read Montague, chercheur à l’Institut polytechnique et Université d’État de Virginie.

Le chercheur a constaté que ce biais est bien ancré dans notre cerveau, dans une étude publiée l’an dernier dans la revue Nature (Nouvelle fenêtre). Dans cette recherche, il demandait à des participants d’évaluer la valeur d’une maison, puis leur présentait l’évaluation faite par un autre participant. Si cette dernière était proche de la leur, certaines zones du cerveau s’activaient.

Mais si l’estimation de l’autre était très différente, un autre réseau de zones du cerveau était sollicité. Ce deuxième réseau est lié à la non-confirmation, c’est un réseau qui sert à rejeter l’information.

 Un homme regarde une vidéo sur Internet.

On a tendance à rechercher les informations qui confirment nos croyances.

Photo : Radio-Canada

Dans le cas des adeptes de théories du complot, leur cerveau privilégie donc l’information qui appuie leurs théories et rejette d’emblée tout ce qui les contredit. Étonnamment, le biais de confirmation a eu un avantage pour la survie de notre espèce, puisqu’il nous a permis de prendre rapidement des décisions, sans constamment changer d’avis.

Vous êtes vivants en ce moment parce que vos biais du passé ont fonctionné. Donc, votre cerveau se doit de rejeter les nouvelles informations qui contredisent vos biais, à moins que le désaccord ne soit vraiment très grand.

Une citation de Read Montague, neuroscientifique, Institut polytechnique et université d’État de Virginie

De plus, lorsque l’on embrasse des croyances, qu’elles soient politiques, religieuses ou idéologiques, celles-ci finissent souvent par définir notre identité. On devient donc très réticent à s’en défaire.

Modifier une croyance est une chose, mais modifier son identité est une tout autre tâche. Une fois que quelque chose fait partie de vous, votre cerveau a intérêt à la protéger.

Une citation de Jonas Kaplan, neuroscientifique, Université de la Californie du Sud
Portrait du Dr Jonas Kaplan.

Le Dr Jonas Kaplan est chercheur en neurosciences à l'Université de la Californie du Sud.

Photo : USC Dornsife

Le neuroscientifique Jonas Kaplan, chercheur à l’Université de la Californie du Sud, a observé ce qui se passe dans le cerveau (Nouvelle fenêtre) dans de telles situations. Il a placé 40 personnes avec des croyances politiques très fortes dans un appareil d’imagerie par résonance magnétique et leur a présenté des faits qui contredisent leurs idées.

Il a constaté que leur amygdale et leur cortex insulaire s’activaient, deux zones reliées aux émotions. Cela indique qu’ils réagissent de façon plus émotive que rationnelle. Plus ces zones étaient impliquées quand les gens se faisaient contredire, moins ils étaient enclins à changer d’avis, explique Jonas Kaplan.

Infographie de l’amygdale et du cortex insulaire

L’amygdale et le cortex insulaire, deux zones associées aux émotions, sont activés lorsque l’on est contredit sur nos croyances.

Photo : Radio-Canada / Patricia Dallaire

Le chercheur a constaté ce même phénomène dans le contexte de la COVID-19, auprès des militants anti-masques. Ce qui s’est produit autour du port du masque, c’est que ça s’est politisé, dit-il. C’est devenu une partie de l’identité de certains.

Puisque l’on s’associe souvent à des gens qui partagent notre identité, le sentiment d’appartenance à un groupe devient une raison de plus pour s’accrocher à ses croyances. Nous ne pouvons pas exister seuls et nous ressentons un très fort besoin de nous sentir reliés à d’autres gens, explique Jonas Kaplan. On se sent vraiment bien quand on fait partie d’un groupe. C’est pour cela que nous en venons à partager les croyances de nos pairs.

Dans les derniers mois, on a vu des gens se rassembler dans des groupes aux intérêts communs, par exemple, l’opposition aux mesures sanitaires ou encore l’adhésion au mouvement conspirationniste QAnon.

Comment éviter de devenir conspirationniste?

Puisque notre cerveau a évolué pour détecter les complots potentiels, n’importe qui est susceptible de se laisser convaincre par des théories conspirationnistes. C’est un phénomène que l’on voit chez des gens normaux, qui fonctionnent bien en société, qui ont des emplois, qui sont parfois très éduqués. On peut le voir partout dans la société, explique le psychologue Jan-Willem van Prooijen.

Nous sommes un mélange de cognition rationnelle et d’instincts sombres et profonds qui nous contrôlent d’une façon qui est parfois difficile à comprendre.

Une citation de Read Montague, neuroscientifique, Institut polytechnique et université d’État de Virginie

Ainsi, nous devons aller à l’encontre de nos instincts pour résister aux théories du complot. En d’autres mots, vous devez inhiber votre réponse naturelle pour agir de la bonne façon, dit le neuroscientifique Read Montague.

Des manifestants du mouvement QAnon à New York, le 2 novembre 2020.

Le mouvement conspirationniste QAnon a gagné de l’ampleur depuis le début de la pandémie de COVID-19.

Photo : Reuters / Carlo Allegri

Être conscient de ses biais et traiter l’information avec un esprit critique constituent une partie de la solution, disent les chercheurs. Il y a des gens qui sont très doués pour prendre du recul et réfléchir aux événements, et ne pas seulement y réagir. Et puis il y a d’autres personnes qui ont du mal à faire ça. Ce n’est pas de leur faute. C’est juste la façon dont nos cerveaux sont construits, explique Read Montague.

Le chercheur Jonas Kaplan abonde dans le même sens. Nous devons accepter que nous avons tous nos motivations, dit-il. Alors au lieu d’essayer de se convaincre que nous sommes parfaitement logiques, nous devrions tenter de comprendre les motivations derrière nos croyances. Et au fond, c’est à ça que sert la science, à atténuer les effets de nos biais sur notre compréhension du monde.

Le reportage de Bouchra Ouatik et Christine Campestre sera diffusé à l'émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.

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